Patrick Bruel Sans Filtre : Du Bracelet WSOP à la Gestion de l'Addiction
Il y a des interviews convenues, calibrées pour le prime time. Et puis il y a ce qui se passe quand un fils interroge son père sur une passion que peu connaissent vraiment. Le 7 décembre dernier, Oscar Bruel a diffusé un épisode particulier de son podcast "Winning Minds" : quarante minutes d'échange avec Patrick Bruel sur sa carrière poker. Un témoignage rare, intime, où le chanteur aux 6 millions d'albums vendus se livre sur ses cartes plutôt que sur ses notes.
Winning Minds : Quand le Fils Analyse le Père
Oscar Bruel n'est pas un simple héritier qui joue les journalistes. Diplômé de la London School of Economics avec mention, ce jeune franco-américain a fondé B N-Hancement, une entreprise spécialisée dans les neurosciences appliquées au sport de haut niveau. Son podcast "Winning Minds" a déjà reçu Tony Parker, Rai ou Bixente Lizarazu.
Le format est particulier : Oscar ne se contente pas d'interviewer, il analyse. Chaque réponse de son père est décortiquée sous l'angle du mental game, de la gestion émotionnelle, de ce qui sépare les bons joueurs des grands. Quand Patrick évoque une main décisive, Oscar explique les mécanismes cognitifs en jeu. Un dialogue père-fils qui devient une masterclass de psychologie appliquée au poker.
L'épisode, disponible sur YouTube, est entrecoupé de séquences filmées lors du WPT World Championship à Las Vegas l'an dernier. On y voit Patrick Bruel en action, concentré, loin des paillettes de la scène musicale.
1998 : L'Année où Tout a Basculé

Pour comprendre Patrick Bruel joueur de poker, il faut remonter à mai 1998. La France s'apprête à remporter sa première Coupe du Monde de football. À Las Vegas, un autre Français s'apprête à marquer l'histoire.
Le $5,000 Limit Hold'em des 29èmes World Series of Poker réunit 111 joueurs. Parmi eux, des légendes : "Miami" John Cernuto, Men "The Master" Nguyen (plus de vingt tables finales WSOP à son palmarès). Et un chanteur français que personne ne prend vraiment au sérieux.
La table finale est un combat d'usure. Patrick Bruel l'emporte face à Bob Redman sur une main qui restera dans les annales : Dame haute contre Huit-Sept, le kicker Neuf qui fait la différence. 224 000 dollars et un bracelet WSOP.
"Je ne suis pas champion du monde au sens strict", précise-t-il souvent. Techniquement exact : il n'a pas remporté le Main Event. Mais en 1998, un Français qui gagne un bracelet WSOP, c'est un événement. Il devient le troisième tricolore de l'histoire à réaliser cet exploit.
L'Aventure Canal+ : Le Poker Entre dans les Foyers Français
Le bracelet WSOP aurait pu rester un fait divers people. C'est une conversation avec Alain De Greef, alors directeur des programmes de Canal+, qui change la donne.
"On s'était dit qu'il serait amusant d'avoir, un jour, du poker à la télé", raconte Bruel. "Il m'avait proposé d'assurer les commentaires, mais j'avais répondu en plaisantant que je le ferais le jour où je serais champion du monde. Quand j'ai gagné le titre, j'ai fait profil bas !"
Février 2005 : le World Poker Tour débarque sur Canal+. Patrick Bruel aux commentaires, aux côtés de Denis Balbir (qu'on connaissait surtout pour le football) et Lionel Rosso. Tous les jeudis soir, entre 22h et minuit, les Français découvrent les exploits de Daniel Negreanu, Gus Hansen ou Phil Ivey.
L'impact est colossal. Le poker passe de jeu de casino sulfureux à sport télévisé respectable. Les forums explosent, les parties entre amis se multiplient, les rêves de Vegas naissent dans les salons français. Patrick Bruel, par sa légitimité de vainqueur WSOP et sa notoriété grand public, sert de trait d'union entre deux mondes.
Winamax : Du Commentateur à l'Actionnaire

En 2009, le poker en ligne s'apprête à être légalisé en France. Patrick Bruel ne se contente pas de prêter son image : il devient l'un des quatre principaux actionnaires de Winamax.
Un pari risqué. L'ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux En Ligne) n'a pas encore délivré ses licences. La concurrence s'annonce féroce avec PokerStars et les autres géants mondiaux. Mais Bruel croit au projet porté par la famille Amar.
Juin 2010 : Winamax obtient son agrément. Patrick Bruel devient Team Pro, incarnant la room française dans les plus grands tournois internationaux. Son rôle dépasse le simple sponsoring : il contribue à façonner l'image d'un poker "à la française", convivial et accessible.
Un Palmarès qui Force le Respect
Ceux qui réduiraient Patrick Bruel à un people qui joue au poker feraient une grave erreur. Son palmarès parle de lui-même :
- 1,6 million de dollars de gains en tournois live
- 1 bracelet WSOP (1998)
- Table finale EPT Barcelone (8ème, 104 500$)
- Table finale WPT Los Angeles Poker Classic (4ème, 332 190$ en 2014)
- 10 places payées aux championnats du monde
En 2014, sa quatrième place au WPT L.A. Poker Classic lui vaut l'Award du Meilleur Ambassadeur Poker. À 55 ans, face à des grinders de 25 ans élevés aux solvers, il reste compétitif au plus haut niveau.
"J'ai Toujours Freiné des Quatre Fers"
C'est peut-être le passage le plus marquant du podcast. Quand Oscar interroge son père sur l'addiction, Patrick Bruel se livre sans fard :
"Certainement que j'avais peur de ça, parce que j'avais eu des copains, très jeunes, qui étaient tombés dans l'addiction à la drogue. Toute forme de dépendance ou d'addiction m'a toujours fait peur."
Cette peur, il l'a transformée en discipline : "J'ai toujours freiné des quatre fers et donc, j'ai toujours pu m'arrêter comme ça. Je pouvais ne pas jouer pendant six mois, un an, sans problème."
Un témoignage précieux dans un milieu où l'addiction reste un tabou. Le poker professionnel, avec ses sessions de 12 heures, ses swings émotionnels violents et l'omniprésence de l'argent, peut broyer les esprits les plus solides. Bruel révèle avoir consciemment mis des garde-fous, refusant de laisser la passion devenir obsession.
Le Mental Game Selon Bruel

Oscar, en bon spécialiste des neurosciences, pousse son père à décortiquer son approche mentale. Comment gère-t-il les bad beats ? Les downswings ? La pression d'une table finale avec des centaines de milliers de dollars en jeu ?
Patrick Bruel évoque les "cycles de chance", cette vision long terme qui permet de relativiser les coups durs. Il parle de sa capacité à compartimenter : sur le feutre, il n'est plus le chanteur, plus le père, juste un joueur parmi d'autres. Cette aptitude à entrer dans une bulle de concentration, développée sur scène devant 80 000 personnes, se transpose naturellement au poker.
Le parallèle entre musique et poker revient souvent : la gestion du trac, l'improvisation dans un cadre structuré, la lecture du public (ou des adversaires), le timing. Deux disciplines qui demandent technique et intuition, préparation et adaptation.
Un Héritage Durable
À 65 ans, Patrick Bruel continue de jouer. On l'a vu à l'EPT Barcelone en août 2025, toujours fidèle aux couleurs Winamax. Sa longévité dans un sport qui use les organismes et les psychés force le respect.
Mais son véritable héritage dépasse ses résultats personnels. Il a été le visage du poker français pendant deux décennies, celui qui a rendu le jeu acceptable aux yeux du grand public, celui qui a prouvé qu'on pouvait être artiste respecté et joueur de poker sérieux.
"Winning Minds" capture un moment rare : un champion qui transmet, un père qui explique, un joueur qui se dévoile. Oscar Bruel, en posant les bonnes questions, offre aux passionnés de poker un document précieux sur la psychologie d'un vainqueur.
Conclusion : Plus qu'un Témoignage, une Leçon
Le podcast de Patrick Bruel sur "Winning Minds" n'est pas qu'une interview promotionnelle. C'est une plongée dans l'esprit d'un homme qui a traversé trente ans de poker au plus haut niveau tout en maintenant une carrière artistique hors norme.
Sa confession sur l'addiction, sa discipline face aux sirènes du jeu compulsif, sa vision du mental game : autant de leçons pour tout joueur, amateur ou professionnel. Dans un monde poker dominé par les stats, les HUD et les solvers GTO, Bruel rappelle que le facteur humain reste central.
L'épisode est disponible gratuitement sur YouTube. Quarante minutes qui valent tous les coaching videos.